Lorsque Léonard, 74 ans, a vu son compte bancaire vidé de plusieurs centaines de dollars sans explication claire, il a d’abord cru à une fraude. Pourtant, comme des milliers d’autres clients de Tangerine, il a été victime d’un prélèvement surprise dû à une « erreur technique » lors de la transition numérique de la banque. Seul face à son téléphone, incapable de parler à un humain, Léonard s’est senti plus qu’impuissant : abandonné par un système qu’il croyait sûr. « Quand t’es vieux, y’a plus personne. T’appuies sur des touches et tu pleures, » confie-t-il, la voix pleine de colère et de fatigue.
Ce scandale n’est pas qu’un bug informatique. Il révèle à quel point la numérisation des services bancaires, imposée sans filet de sécurité humain, laisse derrière elle les plus vulnérables. Les aînés, les personnes en situation de handicap, les familles sans connexion internet fiable : tous deviennent invisibles pour ces institutions désincarnées. À mesure que les applications deviennent le seul point de contact, les guichets ferment et les voix humaines se taisent. Le progrès technologique ne devrait jamais rimer avec exclusion.
Au cœur de cette crise, la question de la responsabilisation des institutions privatisées. Dans un paysage bancaire où la rentabilité prime sur l’accompagnement, comment défendre les droits des citoyens floués ? Les mécanismes de plainte semblent labyrinthiques. Et sans vis-à-vis, les histoires personnelles s’effacent derrière des tickets d’assistance générés par des algorithmes. Quand l’argent disparaît, c’est aussi une part de dignité qu’on arrache à ceux qui n’ont pas le langage ou les outils pour se faire entendre.
Dans les quartiers populaires de Montréal-Nord ou de Saint-Jérôme, on raconte des histoires similaires : mères monoparentales qui ne peuvent plus acheter le lunch de leurs enfants, travailleurs migrants incapables de payer leur loyer à temps. Lorsque les ressources sont rares, chaque dollar volé par inadvertance laisse une trace douloureuse. « Ils me demandent d’attendre 10 jours pour une enquête, mais j’ai une facture Hydro qui tombe demain, » soupire Rachida, éducatrice précaire. Ces récits trop peu entendus sont pourtant le reflet d’un système devenu sourd aux besoins quotidiens de ses utilisateurs.
Cette affaire Tangerine devrait nous forcer à poser une question essentielle : dans quelle société voulons-nous vivre ? Une société où la technologie sert l’humain, ou l’inverse ? Il est temps de réinvestir dans des services accessibles, empathiques et responsables. Car derrière chaque erreur dite « technique », il y a une vie réelle déstabilisée. Considérer les banques comme un simple service commercial est un piège : elles sont l’épine dorsale de nos existences. Et chaque fracture numérique devient, au fond, une fracture sociale.





