Depuis 2019, le chantier Davie de Lévis accumule les retards dans la construction de deux traversiers commandés par Ottawa, avec une livraison désormais prévue pour 2026 — soit six ans plus tard que prévu. Dans l’intervalle, les coûts ont explosé, sans que les services promis aux citoyens ne soient livrés. Ces dérives budgétaires sont loin d’être anecdotiques : elles illustrent un mode de gestion public-privé aux effets pervers, où les retards chroniques deviennent structurels et les mécanismes de reddition de comptes demeurent flous.
Le chantier naval Davie a touché près de 1,8 milliard de fonds publics depuis son inclusion dans la Stratégie nationale de construction navale, sans atteindre ses objectifs initiaux. Entre prolongements contractuels et pénalités repoussées ou absentes, l’argent transite sans livraisons concrètes. Cette situation soulève une question fondamentale : comment se fait-il que tant de fonds publics puissent être engagés sans contrôle rigoureux, ni critères de performance astreignants? Le manque de transparence dans la chaîne contractuelle permet à certains acteurs industriels de bénéficier des fonds de l’État sans livrer la valeur attendue aux contribuables.
Ce dysfonctionnement découle en partie d’une privatisation rampante du secteur stratégique naval, amorcée dans les années 2000. En confiant des missions essentielles à des entreprises privées sans garde-fous solides, le gouvernement fédéral a troqué l’efficacité de gestion contre des promesses industrielles non tenues. Or, dans un domaine aussi stratégique que le transport maritime public, la logique du marché ne garantit ni la rapidité, ni la rigueur, ni l’équité. Ce n’est pas une question d’idéologie, mais de bon sens économique : l’État paie sans exiger de résultats probants, et les citoyens, eux, attendent sur le quai.
Le cas Davie n’est donc pas isolé, mais symptomatique d’un déficit de gouvernance. En refusant d’actualiser ses outils de gestion de projets et de renforcer ses moyens d’intervention directe, Ottawa s’est placé dans une posture de passivité coûteuse. Une étude du Vérificateur général de 2022 avait déjà tiré la sonnette d’alarme : plusieurs contrats navals accusent des années de retard et des dépassements budgétaires massifs, sans améliorer la situation sur le terrain. Le système actuel crée un effet d’enlisement où tout retard engendre un nouveau cycle de financement sans conséquences pour les fournisseurs.
Il est temps de revaloriser une capacité publique forte dans le secteur naval. Cela ne signifie pas tout nationaliser, mais reprendre en main la planification, la reddition de comptes et une partie de l’exécution stratégique. Des partenariats peuvent exister, mais autour d’un pôle public solide, transparent, et capable de coordonner les mandats critiques. Car si les chantiers ne livrent pas, quelqu’un paie – et ce sont toujours les usagers, les régions isolées et les contribuables. Il faut inverser cette logique, en plaçant l’efficacité publique au cœur de la construction navale canadienne.





