Dans un petit deux-pièces de Laval, Karima, mère célibataire de deux enfants, attend depuis quatre ans un logement social. « Je coche toutes les cases : revenus modestes, situation parentale, santé fragile… Et pourtant, rien. » Pendant qu’elle cumule deux petits boulots pour payer un loyer devenu insoutenable, un autre monde s’emballe : celui des milliards injectés dans les négociations entre Bombardier et le constructeur suédois Saab pour assembler les Gripen, des avions de chasse dernier cri. Un gouffre budgétaire qui fait écho au vide laissé dans nos systèmes de solidarité.
Les chiffres racontent une histoire, mais les visages de ceux qu’on ne finance plus parlent plus fort encore. Au CLSC de Saint-Michel, l’infirmière Jessy tremble en parlant de la file d’attente des patients âgés : « Je vois des gens souffrir en silence parce qu’on n’a plus les moyens humains, ni l’équipement pour faire mieux. » Pendant ce temps, les gouvernements brandissent la menace militaire comme une évidence à financer, sans débat collectif ni considération pour les priorités quotidiennes d’une population qui réclame des soins, des écoles, des toits.
Ce fossé entre moyens militaires et retards sociaux n’est pas une fatalité technique, c’est un choix politique. Le Canada a augmenté de 70 % son budget militaire depuis 2014, pendant que les listes d’attente en santé mentale jeunesse explosent. À Montréal-Nord, l’école de quartier en est à son quatrième directeur intérimaire en deux ans, faute de personnel stable. « C’est comme si on nous disait que notre avenir coûte moins qu’un seul missile, » souffle Naël, enseignant en adaptation scolaire. Comment justifier ce déséquilibre sans interroger notre projet de société ?
Il ne s’agit pas d’opposer naïvement paix et défense. Mais de demander où est l’urgence. Si certains dossiers exigent des réponses géopolitiques, d’autres, tout aussi cruciaux, restent orphelins de moyens. Redistribuer une partie des contrats militaires vers un « fonds de reconstruction sociale » permettrait de rénover les centres de santé publics, de financer de vrais plans logement, et de déployer un filet d’aide pour celles et ceux laissés pour compte. L’investissement dans nos gens, notre tissu social, n’est-il pas la base même de la sécurité collective ?
Nous sommes à la croisée des choix budgétaires. Plutôt que de sanctuariser les dépenses militaires, imaginons un budget de la solidarité, qui donne enfin voix à celles et ceux relégués au bas des priorités. On peut choisir un modèle qui soigne avant de s’armer, qui éduque avant d’intimider. Car chaque dollar versé à la guerre est un dollar retiré à une histoire qui pourrait mieux finir.





