Il y a des passeports qui ne mentent pas. Depuis l’élection de Trump version 2.0, les douaniers américains voient nettement moins de Canadiens francophones passer la frontière. Pas par peur — par principe. Le Québec, autrefois amoureux de New England en automne et de brunchs à Burlington, semble voter avec ses valises fermées. En cause ? Un mélange de rejet du trumpisme, de défense des droits des minorités, et d’un écœurement général devant le virage autoritaire du voisin du Sud. Le tourisme devient dès lors un geste politique — stratégique et symbolique.
« On ne veut plus financer un régime qui piétine les droits des personnes trans, des migrants ou de l’environnement », explique Marie-Claude, mère de deux enfants, qui a troqué les parcs de Floride pour un road trip nostalgique en Gaspésie. Elle n’est pas seule. Selon les chiffres de l’industrie, les annulations de séjours depuis Montréal, Québec et Ottawa vers les USA ont bondi de 17% depuis juin. Une forme de désobéissance civile tranquille, mais aux effets bien réels, notamment sur des États frontaliers où les chambres d’hôtels vides se comptent désormais en dizaines de milliers.
Loin d’être un isolement national, ce phénomène rejoint une tradition planétaire de tourismes militants — des Sud-Africains évitant Israël en solidarité avec la Palestine, aux Américains noirs repensant leurs itinéraires face à des États adoptant des lois antiracistes rétrogrades. Refuser de voyager, c’est refuser de consommer un paysage maquillé sur les ruines d’injustices. Une famille québécoise me racontait leur malaise à l’idée de dépenser leur budget vacances à Miami juste après l’adoption de lois criminalisant l’aide aux migrants : « On ne voulait pas piétiner nos convictions sur la plage. »
Mais la politique par le portefeuille a ses limites. Les militant·es eux-mêmes le reconnaissent : boycotter un pays immense et hétérogène comme les États-Unis peut parfois pénaliser les mêmes communautés que l’on cherche à soutenir. Une guide touristique trans à Key West me racontait : « J’apprécie leur geste, mais j’aimerais aussi qu’ils sachent qu’on existe, qu’on résiste ici aussi. » La question devient alors : comment conjuguer solidarité transfrontalière et action concrète, sans basculer dans le repli symbolique ? Là se joue toute la complexité d’un boycott moral : il frappe fort sur les chiffres, mais reste flou sur ses cibles.
Reste que ce boycott travel-friendly marque une évolution du voyage contemporain, de plus en plus politisé, plus conscient — parfois jusqu’à l’inconfort. Voyager ou ne pas voyager devient une posture, une manière de dire le monde tel qu’on le perçoit. Et comme toujours, les inégalités s’y glissent : tout le monde n’a pas le luxe d’un boycott. Mais celles et ceux qui peuvent, choisissent de marcher… dans l’autre direction. Comme si l’horizon touristique était aussi devenu un champ de bataille idéologique.





