La scène est familière : un plateau télé, des promesses en boucle, des visages entraînés au simulacre. Le politique contemporain s’est dévitalisé, réduit à une gestion comptable de ce que nous n’osons plus appeler une communauté. Loin des récits émancipateurs, gouverner se confond avec administrer, et l’horizon collectif est devenu un tableau Excel. Cette neutralité revendiquée, prétendument rationnelle, est en réalité profondément idéologique : elle dépolitise, écrase les conflits derrière l’impératif d’efficacité. Le vide est devenu la norme, et sa violence se mesure à la lassitude croissante des peuples.
Car ce vide, il a un coût. Il s’incarne dans les inégalités qui se creusent, dans la solitude qui s’étire, dans la nature qui s’effondre. La pauvreté, la crise écologique et la crise démocratique ne sont pas des réalités parallèles ; elles procèdent d’une même logique de dépossession. Quand les choix fondamentaux sont confisqués par des experts, quand le langage public cède face aux algorithmes, alors les liens se disloquent. Et les plus vulnérables – précaires, exilés, jeunes désabusés – deviennent les variables d’ajustement d’un monde où l’avenir ne se discute plus, il se subit.
Dans ce contexte, ce n’est pas moins d’État qu’il nous faut, mais un État autrement imaginé — comme garant d’une justice collective, non comme marionnettiste de la rentabilité. Loin des cabinets de consultants, l’État peut redevenir un acteur éthique, capable de choisir ce qu’il protège et ce qu’il transforme. Cela suppose un regain de courage moral : ne plus confondre neutralité et renoncement, technicité et sagesse. Il est temps de repolitiser la solidarité, de faire de l’inclusion autre chose qu’un slogan, de penser l’économie à partir de la vulnérabilité humaine et non de la performance abstraite.
Repolitiser, c’est d’abord redonner consistance au mot « nous ». Pas ce « nous » imposé depuis le haut, mais un « nous » construit dans le conflit, l’écoute et la délibération. C’est refuser que les choix collectifs soient captés par des intérêts privés déguisés en rationalité. C’est reconnaître que les questions économiques sont toujours des questions morales, que les trajectoires technologiques engagent toujours des visions du monde. Bref, comprendre que notre capacité à partager un avenir dépend de notre capacité à nous parler à nouveau comme citoyens, et non comme utilisateurs ou clients.
Il nous faut construire un avenir que nul ne soit contraint de fuir – ni la planète, ni les institutions, ni soi-même. Cela exige une parole habitée, des gestes de confiance et des actes d’ambition politique. Cela réclame de sortir du théâtre d’ombres pour habiter à nouveau le réel, avec ses douleurs, ses conflits, mais aussi sa beauté possible. Le défi moral de notre temps est de faire de la politique non un art de la conquête, mais celui de la réparation. Réparer les liens, les paysages, les récits. Rendre le monde à ceux qui l’habitent.





