Au Canada, le modèle de retraite publique repose depuis des décennies sur trois piliers : la Sécurité de la vieillesse (SV), le Supplément de revenu garanti (SRG) et le Régime de pensions du Canada (RPC ou RRQ au Québec). Ce trépied, bien que modeste, assurait une forme de stabilité pour les aînés. Mais à mesure que la couverture publique stagne ou décline en termes réels, les gouvernements ont transféré le fardeau de la retraite vers les individus. Résultat : les REER, CELI et autres véhicules d’épargne privée prennent une place disproportionnée face à des régimes publics sous-financés et politiquement fragilisés.
Ce déplacement du risque, de l’État vers l’individu, s’inscrit dans une logique de responsabilisation individuelle. Mais il masque une réalité de classe : seuls certains Canadiens — souvent mieux éduqués, propriétaires et à hauts revenus — disposent des moyens, du temps et de la stabilité nécessaires pour planifier leur retraite de façon autonome. Selon Statistique Canada, près d’un tiers des travailleurs n’a aucune épargne enregistrée pour la retraite. Chez les ménages du quintile inférieur de revenu, ce taux grimpe à plus de 50 %.
Les promoteurs de l’épargne individuelle avancent que chacun peut s’organiser s’il est bien informé. Mais cette théorie néglige les inégalités structurelles : précarité de l’emploi, charges familiales, hausses des loyers, santé mentale. L’illusion d’autonomie masque une forme de loterie sociale. Les chiffres parlent : selon l’OCDE, les régimes publics offrent une protection plus égalitaire et durable, tandis que les systèmes fondés sur l’épargne privée tendent à creuser les écarts entre retraités pauvres et aisés. Par exemple, les Pays-Bas et le Danemark, avec des régimes obligatoires et mutualisés, figurent en tête des indices de sécurité de retraite.
Au-delà des chiffres, ce glissement est aussi une question générationnelle. Les jeunes travailleurs d’aujourd’hui, souvent freelances, pigistes ou contractuels, n’ont ni la prévisibilité ni les outils pour bâtir un coussin financier solide. Ils vivront plus longtemps, feront face à l’automatisation, mais devront se débrouiller avec une couverture étatique moins généreuse que celle de leurs parents. La retraite devient une ligne d’arrivée floue, réservée aux plus chanceux. Une insécurité économique intergénérationnelle s’installe, avec ses conséquences sociales à long terme.
Revenir à un système plus collectif, mutualisé et stable n’est pas seulement une question de justice sociale ; c’est aussi une nécessité économique. Une population vieillissante sans filet social, c’est un coût différé pour le système de santé, l’aide sociale et la cohésion nationale. Pour remettre l’humain au centre des politiques de retraite, il faut replacer la solidarité au cœur des débats. Car en matière de vieillesse, la promesse d’autonomie ne peut tenir lieu de politique.





